CLÉMENT DE GAULEJAC
LE BRUIT DU PLANEUR
La Galerie B-312 présente dans sa grande salle Le bruit du planeur de Clément de Gaulejac, une exposition qui réunit quelques-unes de ses œuvres récentes. L’une d’entre elles, Le Challenger, est un masque qui reprend trait pour trait le museau de la navette Challenger, qui explosa le 28 janvier 1986, 73 secondes après le décollage. Ce masque sera la figure centrale d’une performance présentée les 12 janvier et 28 janvier 2006, et où l’artiste fera travailler les reliquats insoupçonnés d’une catastrophe.—Les œuvres de Gaulejac sont souvent le fruit d’une sensibilité envers un champ de signification que Roland Barthes reconnaissait dès 1956 comme le champ des mythes contemporains. « Le mythe est une parole » avait-il affirmé dans Mythologies. Cette parole, il la décrivait comme le véhicule d’une signification informulée inhérente au contexte historique, qui se love en nous à notre insu, et conduit, toujours à notre insu, nos jugements et nos actes.—Un mythe en particulier hante de Gaulejac, et pour cause puisqu’il s’agit du statut de l’artiste. L’artiste est-il comme l’amateur de vol à voile ? Plane-t-il discrètement sans bruit dans la société en exploitant à son avantage les vents ascendants ? Est-il au contraire, à l’instar de l’ouvrier qui aplanit le métal à grands coups de marteau, celui qui agit bruyamment ? Agit-il avec tant de bruit, comme la machine à planer les planches, pour faire disparaître le moindre relief et atteindre ainsi l’aspect le plus convenable ? Est-il, comme le suggère dans l’exposition la pièce La sécurité, celui dont l’œuvre porte un discours de prudence ? Son attitude s’apparente-t-elle à ces entreprises dont « la direction décline toute responsabilité », comme le veut la formule consacrée, que de Gaulejac récupère pour en faire le titre de l’une des œuvres de l’exposition ?—L’artiste travaille souvent ainsi, en annexant à une parole collectivement acceptée une proposition plastique qui crée une distorsion de sens qui peut prêter à sourire, mais révèle aussi le prix idéologique à payer pour partager le même langage.
—Jean-Émile Verdier